Juste après les indépendances, une réforme foncière a été initiée avec l’adoption de la loi 64-46 du 17 juin 1964 relative au domaine national. Ce domaine qui constituait plus de 90% après la réforme est divisé en quatre zones spécifiques : les zones urbaines, les zones classées, les zones pionnières, et les zones de terroir. Cette dernière catégorie fera essentiellement l’objet de notre étude.
Les zones de terroir sont définies par l’article 7 de la loi sur le domaine national comme constituant les terres qui sont régulièrement exploitées pour l’habitat rural, la culture ou l’élevage. Ces zones sont en principe gérées par l’Etat mais, il a conféré ce pouvoir aux organes locaux ; se limitant à exercer un contrôle. Elles sont les plus importantes aussi bien en superficie qu’en enjeux. Selon l’article 1er du décret n°64-573 du 30 Juillet 1964 fixant les conditions d’application de la loi n°64-46 du 17 Juin 1964 relative au Domaine National, « Le terroir est constitué par un ensemble homogène de terres du domaine national nécessaires au développement de la population du ou des villages qui y sont implantés, y ayant des intérêts ruraux communs ». Son mode principal de gestion et d’administration est l’affectation qui obéit à deux conditions prévues par l’article 3 du décret n°72-1288 du 27 octobre 1972 relatif aux conditions d’affectation et de désaffectation des terres du Domaine National comprises dans les communautés rurales, modifié par les décrets n°1051 du 14 octobre1980 et 86-445 du 10 avril 1986.
La première, héritée du droit traditionnel négro-africain, est relative à l’appartenance à la collectivité qui va servir de titre juridique à l’exploitation des terres. Ainsi, dans les terroirs, l’affectation peut être décidée en faveur soit d’un membre de la communauté rurale, soit de plusieurs membres regroupés en association ou coopérative. Dès lors, les étrangers à savoir ceux qui sont extérieur à la collectivité n’ont pas droit à ces terres.
Ensuite une exigence est requise pour mettre en œuvre la dépendance octroyée. Avec cette condition, la terre est attribuée à ceux qui sont à même de la travailler personnellement et matériellement. La finalité de la législation en ce point est essentiellement de favoriser une exploitation rationnelle, continue et constante de la terre[1]. Dans les zones de terroirs ce sont les conseils municipaux qui délibèrent pour les affecter. L’affectation ne confère qu’un droit d’usage ; les terres affectées ne peuvent faire l’objet d’aucune vente ou contrat de louage.
Donc au vue de ce qui précède, il est clair que l’affectation des zones de terroir doit se faire au bénéfice des populations de la localité. Toutefois, dans la pratique la réalité est tout autre car en effet beaucoup d’étrangers non-résidents parviennent à bénéficier des parcelles affectées.
Mais comment en est-on arrivé à ce stade ? Plusieurs cas de figure peuvent se présenter ; cependant trois d’entre eux retiendront notre attention.
Le premier concerne un membre de la collectivité qui dispose d’une délibération et qui décide de la céder à une personne qui n’appartient pas à la localité. En cédant ses peines et soins, le membre du terroir transfert son droit d’usage. Ce qui permet à l’étranger de disposer d’une parcelle au sein de la collectivité et ceci n’est pas sans conséquence. En effet il arrive que les habitants contestent le fait que les personnes extérieures à leurs localités parviennent à disposer de terres surtout quand celles-ci prennent de la valeur faisant ainsi naitre des problèmes. Ces cas de figure sont beaucoup plus fréquents dans les zones à fort potentiel économique, touristique, agricole…etc.
Certes il arrive que certains membres de la collectivité cèdent des terres à des étrangers, mais il faut reconnaitre que la loi n’a pas prévu des instruments adaptés pour une bonne application des textes sur l’affectation des terroirs. Par exemple l’absence de base juridique consacrant véritablement la définition des notions : appartenance à la communauté et avoir la capacité de mise en valeur pour bénéficier d’une affection crée parfois des complications. La mise en place d’un cadastre rural permettrait aux élus locaux de mieux avoir une vue sur le terroir et ainsi s’assurer que les membres de la collectivité puissent bénéficier effectivement de ces terres. Ceci permettrait également à certaines communes de mieux maitriser les limites de leurs terroirs et éviter des potentielles contestations avec les collectivités voisines.
Le deuxième cas de figure et pas le moindre est l’attribution ou la vente illégale des terres de la zone de terroir à des personnes étrangères à la commune par les maires. C’est le problème le plus fréquent et qui soulève le plus l’ire des populations. En effet nous constatons que parfois les maires participent à la dépossession des populations de leurs terres en usant des pouvoirs qui leurs sont conférés, c’est-à-dire celui de s’occuper des zones de terroir sis sur le périmètre de leurs communes. Ils cèdent illégalement les terres dont ils ont la responsabilité de gérer au profit de leurs habitants à des personnes qui dans la plupart des cas sont des étrangers qui financièrement parviennent à en procurer. Et cela en violation aux dispositions de la loi du 17 juin 1964 et du décret du 14 octobre 1972. Les autorités étatiques étant dans la plupart du temps informées de la situation ne réagissent que peu ou presque pas à cause de la clientèle politique et surtout quand le maire incriminé est de la mouvance présidentielle. Pour remédier à cette situation, il faut que l’Etat sans considérations partisanes applique les mesures coercitives à l’encontre des maires qui violent les textes en la matière. A défaut de faire respecter les normes à travers la coercition, nous suggérons la mise en place d’un organe permanent et institutionnalisé dans chaque commune et qui aura pour mission de se charger exclusivement de la gestion des terroirs. Le maire sera membre d’office mais son pouvoir en la matière devrait être revu.
Il y a enfin le phénomène d’accaparement des terres par les investisseurs étrangers qui touche beaucoup les habitants des terroirs. En effet au lendemain de la crise économique et financière de 2008 qui a secoué le monde, beaucoup de mouvements allant des sphères internationales vers les terres fertiles ont été notés dans plusieurs pays africains. Le Sénégal n’a pas échappé à ces mouvements avec la spoliation des zones de terroir de plus en plus occupées par les investisseurs privés et surtout internationaux. Dans ce cas de figure l’Etat peut être tenu pour responsable car c’est lui qui accorde cette possibilité de disposer de parcelles à grande échelle à ces investisseurs. Et ce que nous constatons est que cela se fait de façon peu transparent et parfois même en ne respectant pas certaines dispositions comme l’article 13 de la loi 64-46 du 17 juin 1964 relative au domaine national qui oblige l’État à toujours mettre en avant le caractère d’utilité publique d’un projet afin de prendre les terres occupées par les populations. Cette article dispose que « L’Etat ne peut requérir l’immatriculation des terres du domaine national constituant des terroirs, ou affectées par décret en vertu de l’Article 11, que pour la réalisation d’opérations déclarées d’utilité publique ». Donc si l’Etat, détenteur des terres du domaine national appelé à assurer leur gestion, se permet de les octroyer à des étrangers sans respecter les textes, cela ne fera qu’occasionner des tensions sociales comme c’est le cas d’ailleurs dans plusieurs communes du pays. Nous pensons que l’Etat doit respecter les normes afin de les faire respecter par les autres acteurs.
Il faut aussi noté que la spoliation des terres par les autorités étatiques du moment au profit des investisseurs étrangers peut s’expliquer parfois par les promesses faites aux patronats lors des échéances électorales et qu’elles honorent au détriment des populations locales notamment les paysans et éleveurs. Mais quoiqu’il en soit l’Etat doit toujours protéger sa population face à ces privés qui occupent des hectares et surtout respecter les engagements souscrits à l’échelle internationale. Il en est par exemple du respect de l’article 21 (5) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui stipule que « Les Etats, parties à la présente Charte, s’engagent à éliminer toutes les formes d’exploitation économique étrangère, notamment celle qui est pratiquée par des monopoles internationaux, afin de permettre à la population de chaque pays de bénéficier pleinement des avantages provenant de ses ressources nationales ».
Il faut aussi noté que le problème d’accaparement des terres n’est pas seulement le phénomène des investisseurs étrangers. C’est aussi un problème occasionné par des fonctionnaires sénégalais, certains religieux,…. qui font main basse sur les terres pour spéculer.
Arthur D.G DIATTA, Juriste Publiciste spécialisé
En Management du Foncier et de l’environnement
Agent CPI, chargé des Formalités Foncière
Le 03 Janvier 2020
[1] DIALLO Amadiane, Exploitations agricoles familiales et projets d’agro-carburants de proximité au Sénégal : cas du projet Jatropha dans le département de Foundiougne, Mémoire Master 2 en politique économique et sociale finalité développement/politique et gestion de projets 2011, Université Catholique de Louvain.